news 2020 - Au temps de Léopold II au Gongo

QUELQUES OUTILS POUR ANALYSER LES CRIMES AU TEMPS DE LÉOPOLD II AU CONGO

L’objectif de cet article n’a pas l’ambition d’affirmer des certitudes sur ce qui s’est passé, mais simplement de donner quelques outils afin d’orienter notre réflexion sur cette époque noire de notre histoire.

Il n’y a qu’au Congo belge que cela s’est passé ?

Non évidemment il suffit de survoler l’histoire des débuts de la colonisation de l’Angola, Brazzaville, Tchad, Centre Afrique…. pour voir les atrocités commises par les Européens : le Mani-Kongo décapité après la bataille d’Ambuila, les familles brûlées vives enfermées dans leurs paillotes au Tchad etc..

Que dire alors de l’anéantissement des populations locales dans les deux Amériques ! Il y a cependant une différence, car ces massacres avaient pour objectif la domination des pays tandis qu’au Congo, en plus de la soumission des tribus, bien des crimes ont été opérés en vue de l’exploitation du caoutchouc et de l’ivoire. La thèse de doctorat de Daniël Vangroenweghe1 dans les années ’70 et publiée par après aux éditions Aden donne de nombreux détails sur cette époque : des noms, des méthodes, des lieux et…. près d’un millier de notes en bas de page !

Léopold II est-il génocidaire ?

Il aurait voulu éliminer physiquement tous les congolais dont il avait absolument besoin pour la récolte de palme, de caoutchouc et d’ivoire ? C’est totalement absurde. Aucun historien n’y fait allusion.

20 millions et même 30 millions de morts 2

Ce serait plus que la totalité des trois royaumes principaux : les Kuba, les Luba et les Kongo à l’époque. Pour simple information, 100 ans plus tard, l’Angola (2/3 du Congo) ne comptait encore que 25 millions d’habitants. L’erreur vient de la différence entre deux recensements au Congo.

Le premier, fort fantasmagorique effectué par Stanley dans les années 1883-85. En descendant le Fleuve Congo et parcourant d’autres, il calculait le nombre approximatif de Congolais amassés sur les berges et venus voir une curiosité : un homme tout blanc. Il a ensuite extrapolé en évaluant pour l’ensemble d’un territoire dont il ne connaissait même pas les limites exactes.

De plus, c’est un aventurier et comme il l’avait fait pour convaincre que le seul tracé valable du chemin de fer pour relier l’Etat Indépendant du Congo était le tracé Léopoldville-Matadi3, il a très largement surévalué la population totale du Congo afin de bien mettre en valeur sa trouvaille et il a estimé à 24 millions la population totale après avoir évoqué dans un premier rapport paru en anglais le chiffre de 42 millions ! Vingt ans plus tard en 1912, lorsque la Belgique organise son premier recensement sérieux impliquant l’administration coloniale de l’époque, ils ont trouvé une douzaine de millions d’habitants.

C’est ainsi que les amateurs de scandales ont lancé le chiffre de 20 à 30 millions de morts dus à Léopold II.4 Au fur et à mesure de l’affinement des études, on estime aujourd’hui selon l’historienne Bérengère Piret5 responsable des Archives d’Etat à un tout grand maximum de 5 millions de décès dont une grande majorité seraient dus aux maladies importées par les Blancs : grippe, variole, typhus, maladies vénériennes et même les djiques importées par le Portugais.

Méfaits largement prouvés :

les premiers colons ne sont pas des enfants de chœur et ne sont là que pour le profit. Mais surtout, ils multiplient par dix la manière inhumaine dont les patrons traitaient les mineurs et autres travailleurs en Europe à l’époque ; de plus les militaires africains étaient tous des étrangers.

Au fur et à mesure des années, la demande de caoutchouc augmente et avec elle la pression sur les populations. Les témoignages écrits sont nombreux : épouses et enfants emprisonnés jusqu’à ce que le quota soit atteint, coups de fouet, bastonnades pour augmenter le travail, assassinats (mains coupées comme preuve)6 si le quota n’est pas atteint ou si la personne prend la fuite, massacre de villages qui se rebellent, travail forcé pour le transport de matériel, pendaisons…. De plus, il était difficile pour la population de fuir, car toute la région était aux mains des trois grandes compagnies : Ubangi Nord (Société anversoise, Lisala, Bumba) – ABIR – Domaine de la Couronne (le Roi). Fuir beaucoup plus loin était impensable à l’époque. Mais à tous ces crimes opérés de sang-froid, il faut encore ajouter tous les effets collatéraux dont la famine. En effet, les hommes étant réquisitionnés, le travail des champs diminue, mais surtout, la nourriture est confisquée par les militaires étrangers7 à leur profit et à celui des Blancs : volaille, chèvres, poisson…. Que dire alors des centaines de milliers de morts ou des millions durant ces vingt années à cause des maladies importées et de l’affaiblissement de la santé due à la malnutrition : grippe, typhus, tuberculose, maladies vénériennes et même les djiques importées dans le temps par les Portugais….

Le Roi était au courant.

Plusieurs fois le roi est intervenu et montrant son désaccord vis-à-vis de ces crimes, mais sans prendre de mesures efficaces. Quelques juges avaient bien été désignés, mais totalement inefficaces. Le roi en effet avait trop besoin d’argent pour renflouer ses caisses et terminer ses projets en Belgique. Suite à la commission d’enquête de 1905, le débat se fait de plus en plus violent en Belgique de sorte que le roi est obligé de lui céder « son » Congo. Lors de son enterrement, des Bruxellois ont dansé lors du passage du cercueil, mais je ne sais pas si c’est à cause de la construction du Palais de Justice ou de ses méfaits au Congo.

Et les Missionnaires Scheutistes.8

Suite à la commission d’enquête en 1905 et aux nombreuses dénonciations, Mgr Van Ronslé et le supérieur des Redemptoris décident de se rendre dans la région de Maïndombe afin de se rende compte de la réalité, mais ils doivent abandonner suite aux intempéries. Il est cependant indéniable que les Scheutistes étaient au courant des méfaits des colons puisque qu’ils étaient à Berghe Ste Marie au confluent des fleuves Congo et Kasaï (passage obligé de tous les voyageurs et caravanes) ensuite à Luluabourg. Leur position a dû être très inconfortable, car ils avaient été appelés par le roi pour la "belgicisation" de la mission afin que "son Congo" reste belge. Mais d’un autre côté, ils étaient aussi au courant des exactions de plus en plus nombreuses commises par les colons : ils étaient pris entre deux feux. Il faudrait fouiller les archives pour retrouver leurs lettres de protestation. Plus tard, le P. Emery Cambier qui avait été nommé Préfet Apostolique du Haut Kasaï a été prié de rentrer du pays à cause de ses nombreux confits avec les colons et l’administration coloniale belge. Bien d’autres par après n’hésitaient pas à dénoncer les attitudes inhumaines de fonctionnaires ou de colons.

  1. 1 Red Rubber publié dans les années ’70, remanié et réédité une dernière fois en 2010 toujours disponible sur ebay : Du sang sur les lianes.
  2. 2 Une des dernières thèses de doctorat a été publiée en 2010 par Jean-Paul Sanderson de l’UCL Louvain est consultable en ligne (taper « La démographie du Congo sous la colonisation belge » sur Google).
  3. 3 Un autre tracé moins coûteux était possible, mais en passant par le Congo Brazza et le Gabon. Dans son étude de faisabilité, il en avait doublé les prix afin que le tracé reste sur le territoire de l’EIC : une bonne chose en somme.
  4. 4 P. 272 de la thèse de Sanderson : En termes de population, cela aboutit à des chiffres de population de 10,519 millions en 1885 et 10,083 millions en 1930 (Figure III.26). Le niveau le plus bas est atteint en 1925. Il faut dire que le nombre de naissances dans les régions concernées avaient diminué très fortement alors que les maladies continuaient de plus belle.
  5. 5 Pour voir son interview : taper son nom sur Google ou https://www.crhidi.be/2020/06/13/interview-l%C3%A9opold-ii-et-le-pass%C3%A9-colonial-de-la-belgique/.
  6. 6 Il y avait même un « responsable des mains » : Bokongi mb’akata »
  7. 7 Soldats de Zanzibar, Nigeria, Ghana… encadrés par des mercenaires allemand, italiens, britanniques… commandés par des officiers belges : Les générations condamnées par Jean Kanyarwunga.
  8. 8 Pp. 321 et 322 de Sang sur les lianes

P. Jean Peeters, scheutiste

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